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Interview Massamba Gueye

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Nous commençons cette série d'interview par Monsieur Massamba Gueye, Directeur de la Maison de l'Oralité et du Patrimoine "Kër Leyti" Sénégal.


GCD : Bonjour Mr Massamba Gueye, pourriez-vous nous dire quelques mots sur vous ?


M.G : Bonjour, je suis un pur produit de l’école Sénégalaise, enseignant, chercheur, dramaturge, auteur, écrivain, poète et conteur. J’ai enseigné durant 25 ans la littérature Française et le patrimoine africain. J’ai aussi collaboré avec beaucoup d’universités en tant que chercheur spécialiste du patrimoine oral, en étant référent national auprès de l’Unesco et expert de l’OIF pour l’Afrique de l’Ouest dans les domaines de l’art vivant, scénique et pour la commission internationale de la Francophonie. J’ai été nommé en 2013, Directeur Général de la Compagnie du Théâtre national Daniel Sorano. En 2009, j’ai fondé la Maison de l’Oralité et du Patrimoine « Kër Leyti ». En somme un Africain vivant au Sénégal et travaillant sur notre patrimoine culturel.


Comment vous est venu cette idée de créer la Maison de l’Oralité et du Patrimoine, et que représente-t-elle aujourd’hui ?


Administrateur du Festival international pour la paix (FEST’ART) entre 2001 et 2010, l’idée m’est venue d’une envie partagée avec mes amis de détenir des espaces qui nous seraient dédiés. Je me suis posé cette question : puisque l’Afrique de l’Ouest est perçue comme la région de l’oralité, « Si l’oralité devait passé par nous, elle la passerait où ? Elle devrait la passer dehors, puisqu’elle n’avait pas de maison. »

Fort de ce constat j’ai donc décidé de construire en 2007 une maison qui s’appellerait la Maison de l’Oralité et du Patrimoine. Deux ans plus tard, nous en avons commencé la construction du bâtiment dans le quartier de Keur Massar dans la banlieue de Dakar, un lieu réunissant les deux critères désirés, la tradition et l’urbanité. Cette maison est un espace dédié à la valorisation des arts traditionnels et modernes, à la création scénique et à des résidences d’écriture où les artistes peuvent venir y séjourner.


Cette maison porte le nom de « Kër Leyti », en référence à un historiographe qui était aussi mon grand-père Leyti Guissé. C’est lui qui m’a transmis toute la part d’oralité que je porte et que n’ai pas pu acquérir à l’université en tant que chercheur.


Quelle est l’importance du conte pour dans l’éducation ?


En Afrique c’est le conte de la vie. Car cette transmission orale est universelle, et chacun y trouve sa part de compréhension. Aujourd’hui nous constatons que dans le curriculum des formations des enfants, nous ne pouvons pas développer leur imaginaire, d’où l’importance du conte puisqu’il permet de structurer leur imaginaire à travers des récits qui ne s’apparentent pas à des mensonges mais à de la fiction.


En effet le conte ouvre la perspective de l’enfant dans son rapport à l’univers, il lui permet de connaitre le monde animal, végétal et le cosmos. A titre d’exemple, les contes cosmogoniques permettent à l’enfant de comprendre que l’univers est plus vaste que sa maison.


Nous avons mis en place avec l’éducation nationale des capsules de contes, des émissions de d’une vingtaine de minutes, des podcasts de 10 mn qui ciblent des thématiques liées à la citoyenneté, à la diversité culturelle, à la tolérance, à l’enjeu scientifique aussi parce les contes mathématiques permettent de structurer la mentalité de l’enfant, en lui donnant des cycles qu’il doit répéter dans une suite logique.


Nous avons aussi créé avec la RTS l’émission « Contes et Légendes », une émission bihebdomadaire commencé il y a une vingtaine d’années. Pour les tout-petits de 3 ou 4 ans, les discours scientifiques ne sont pas accessibles, nous produisons donc des petits livres illustrés de contes bilingues, car l’objectif n’est pas d’écrire des contes en Français ou en Woloof, mais de publier des livrets où les deux langues se rencontrent. Il n’y a pas de conflits linguistiques, il n’y a que les peuples qui sont en conflit alors que chaque langue peut enrichir l’autre.


Le conte en tant qu’élément du patrimoine tel recommandé par l’UNESCO, rentre de plus en plus dans la formation des enfants car elle leur permet de s’accaparer leur identité à travers le patrimoine.


Avez-vous des thèmes de prédilection ?


Oui, ils sont multiples. L’un des premiers thèmes porte les rapports humains liés à l’injustice sociale. Mais nous utilisons aussi les thèmes traitant de l’albinisme où de la gémellité pour combattre tous les préjugés, nous abordons la thématique de l’esclavage pour ouvrir un champ pour en parler, ainsi que les thèmes touchant à l’éducation. Les thèmes religieux sont moins utilisés pour les enfants, ceux-ci ayant d’autres espaces où ils peuvent acquérir ces compétences. Nous abordons aussi tout ce qui touche à l’environnement, au respect des arbres, à la trahison et aux valeurs morales.


Quel est votre regard sur la dualité conte moderne et contre traditionnel ?


J’ai écrit une thèse à l’université « Du conte moderne au conte traditionnel : étude des variations, permanence thématique et stylistique ». Je voulais prouver, démontrer qu’il y a une continuité. Le conte possède toujours ses deux fonctions : une fonction pédagogique et une fonction ludique. Il continue toujours à se dire au passé, bien qu’aujourd’hui de nombreux contes utilisent le présent de l’indicatif, un choix pouvant restreindre le merveilleux.

Les contes traditionnels reposaient sur un univers où l’équilibre entre l’homme et la nature n’était pas rompu. D’ailleurs à chaque fois que l’on voulait rompre cet équilibre, il y avait une sanction, qui faisait que l’homme reprenait sa place et n’empiétait pas sur celle de la nature.


Mon constat est qu’il existe une continuité thématique ; les quatre thèmes fondamentaux étant incontournables : la nature, le social et le sociétal, le religieux, ainsi que ceux relevant du sentiment. Ce qui va varier, ce sont juste les éléments d’habillage, les outils que les personnages vont utiliser avec une nouvelle identité. L’espace urbain s’immisce ainsi dans les contes contemporains.


D’autre part, le conte urbain, moderne peut par exemple être slamé. Il est à noter que ces rythmes dits modernes existaient dans la tradition sous d’autres vocables, et pouvaient aussi être présents dans l’oralité du récit.


Mais fondamentalement l’intention du conte, sa vocation sont perpétuels, il n’y a pas d’antinomie. S’est opéré seulement une adaptation du conte dans l’espace moderne. Nous devons aussi penser à ce que les contes modernes puissent se transmettre par l’intermédiaire du numérique, pour nos enfants et nos petits-enfants.


La tradition orale est un marqueur de la tradition de l’Afrique subsaharienne, existe-t-il des traditions orales différentes suivant les pays ou y retrouvons-nous les mêmes thématiques ?


Le conte est universel en Afrique de l’Ouest, n’oublions pas que nous sommes dans un espace vaste qui s’appelait l’espace du Mandé où se trouvait l’empire du Ghana, l’empire Songhaï et l’empire du Mali, présents avant l’arrivée de la colonisation. Cette continuité culturelle existe, nous la constatons dans la façon de donner les noms, dans la façon de se marier, dans la façon de vivre, de dessiner les rapports sociaux, ce sont les mêmes références, quelque soit la langue.


Il en est de même pour les contes. Ce qui change, c’est qu’en Afrique de l’Ouest par exemple, les contes s’identifient avec les hyènes, avec le lièvre comme animaux intelligent personnifiés, alors qu’en Afrique centrale, nous allons retrouver l’araignée, dans le Maghreb le vent du désert. Ce sont donc les éléments de la nature qui définissent les changements de motif, mais la continuité est présente.


Aujourd’hui nous avons la chance d’être en lien avec tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous connaissons tous les conteurs professionnels, nous avons des rapports d’échange réguliers, nous y faisons des collectes. Entre 2010 et 2013, nous avons fait une collecte qui nous a amené au Cap Vert, en Guinée Bissau, en République du Congo et jusqu’en Angola, et a abouti à la création du site www.contreafrica.org. En conclusion, nous pouvons constater que toute l’Afrique de l’Ouest s’approprie les mêmes thématiques, les mêmes rapports et les mêmes références morales. Il existe bien une continuité culturelle.


Depuis le début de cette interview, nous échangeons au sujet du conte, mais pouvez-vous nous parler de son origine ?


L’origine de conte Africain comme l’origine de tous les récits est impossible à dater. Le conte est aussi vieux que l’homme est vieux dit-on. Nous avons l’habitude d’énoncer pour l’Afrique, qu’avant les religions révélées, que le conte est né avec l’éducation du premier homme qui a su parler à son enfant. Il lui a conté ce qui s’était passé avant.


Il existe des théories qui affirment que le conte est un mythe désuet, que le conte vient du mythe, que le mythe expliquant l’origine des choses est le récit premier et que le conte en est un dérivé. Mais scientifiquement rien ne peut le prouver, car le conte est autonome.


Dans les religions révélées, que ce soit dans le Coran, dans la Bible, Dieu a dit « Sois et la lumière fût », « kun faya kun » dit-on en Arabe. Toutefois, je pense en tant que chercheur, avec une approche diachronique, que nous ne pouvons pas dire d’où il vient le conte, mais nous pouvons stipuler que le conte en tant que genre universel, est né avec les premiers récits des hommes.


Lorsque la thématique « Contes et légendes du Sénégal et d’ailleurs » fut choisi, le Grand Carnaval de Dakar vous a sollicité. Qu’avez-vous pensé de ce choix et pour quelles raisons avez-vous accepté de devenir partenaire de cette deuxième édition ?


En tant que Directeur de la Maison de l’Oralité et du Patrimoine, et Secrétaire Général des conteurs du Sénégal, je ne peux que me réjouir qu’un évènement aussi important que le Grand Carnaval de Dakar, dès sa deuxième édition, se tourne vers les contes et légendes.


Pour moi, dans le cadre de notre travail avec l’UNESCO et la Direction du Patrimoine Culturel, c’est ce que l’on appelle la sauvegarde. La sauvegarde du patrimoine immatériel ne peut que passer par la transmission et le Grand Carnaval de Dakar qui est un évènement naissant mais extrêmement important de par sa couverture nationale mais aussi internationale, participe à cette sauvegarde. Il pose la lumière sur une activité que nous développons depuis 1986. Ce thème est donc bienvenu et nous en sommes très heureux.


Lorsque nous avons été saisis par les organisateurs, nous n’avons pas hésité une seconde à devenir partenaire pour trois raisons : la première raison, la crédibilité de l’organisatrice Fatou Kassé-Sarr et celle du Directeur régie Babacar Niang, ainsi que les diverses recommandations que nous avons reçues. Nous avions aussi suivi la première édition à distance et nous avons apprécié le sérieux de l’équipe et son orientation sur le long terme. La seconde raison, est que nous devons mutualiser nos forces en Afrique dans le domaine culturel, car c’est la synergie des évènements qui nous donne de la force. Enfin le dernier élément, la Maison de l’Oralité et du Patrimoine ne peut pas ne pas recevoir les structures et les évènements qui commencent à prendre pied et qui ont une valeur évidente. Si nous ne les accompagnons pas, nous allons perdre des partenaires et nous serons obligés de tout recommencer à zéro.


Ce carnaval est pleinement approprié, Dakar a besoin de ce genre d’évènement, le Sénégal aussi, s’y ajoute la pertinence du thème et comme je vous l’avais indiqué lors de notre dernière rencontre, j’espère que cette collaboration ne sera pas éphémèr,e mais qu’elle cheminera sur le long cours.


Le rêve de l’équipe du #grandcarnavaldedakar, porter un évènement unique dans la sous-région, mais aussi que le carnaval devienne incontournable dans les agendas internationaux, cet objectif vous semble-t-il réalisable ?


Cet objectif est noble, créer un évènement qui n’existe pas cela s’appelle de la plus-value, et le Grand Carnaval de Dakar amène cette plus-value dès l’instant où cet évènement est endogène, avant de s’ouvrir au reste du monde. Cela rejoint ce que le Président Senghor appelait « l’enracinement in situs ? ». Ce qui fait l’originalité du Grand Carnaval de Dakar c’est le fait de s’inspirer de ce qui se fait de meilleur au monde et d’y adjoindre ce que l’Afrique propose elle aussi de meilleur. Cette fusion nous renvoie à cette belle image, où l’on ne peut pas faire du noir sur du noir ou du blanc sur du blanc. Toutes ces raisons font que le Grand Carnaval de Dakar est une évidence, que ce projet est majeur par sa vision culturelle.


Une dernière question, les festivaliers auront-ils le plaisir de vous entendre conter ?


Nous mettrons à la disposition du Grand Carnaval de Dakar tous les réseaux des conteurs nationaux mais aussi internationaux. Nous avons installé « La grande nuit de conte » à Conakry, la Grande nuit du conte à Ouagadougou, la Caravane du conte à Lomé, à Abidjan, au Bénin ainsi qu’au Mali. Tout ces réseaux seront mis à la disposition du Grand Carnaval de Dakar, pour que les meilleurs conteurs de l’Afrique de l’Ouest se retrouvent à Dakar et que nous puissions offrir ce que nous allons appeler « la Foire des mots ».


Comme tous les grands conteurs je serai présent pour conter sous mon nom d’artiste « Bouche de l’Afrique ». Nous proposerons trois formats : des spectacles de contes son et lumière dans ce qu’il y a de plus moderne, des performances orales dans la rue et la foire des mots où les gens présents dans le village du Grand Carnaval, rencontreront les conteurs sur des petites séquences de 10, 15 ou 20 mn.

Toutes les formes d’art oratoire seront présentes, que ce soit les contes, les mythes de fondation autour des peuples de l’eau mais aussi les contes éthologiques, les contes expliquant l’origine des faits, les contes sur l’éducation. Vous aurez des conteurs, des conteuses, ainsi que tous les arts de la parole qui tournent autour du conte, que ce soit le slam, que ce soit le tassou, que ce soit le kebetu. Nous mettrons à la disposition du Grand Carnaval de Dakar l’ensemble de notre structure : nos résidences, notre personnel, notre matériel et notre production artistique.


L’équipe du #GrandCarnavaldeDakar vous remercie pour cet entretien enrichissant et nous espérons que ces spectacles feront que tous les participants de 7 à 77 ans, auront des étoiles plein les yeux.


Merci à vous... Nous essaierons donc de décrocher les étoiles du ciel pour les mettre dans les cœurs... Inshallah !!


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